• Chapitre II: Séparation

    Bien qu’elle ne s’en souvienne pas elle-même,  Aergis est une des nombreuses jeunes filles orphelines détenues dans les goulags russes et enlevées lorsque des hommes virent les chercher un soir dans leurs cellules. Elle et sa camarade de chambre furent embarquées dans la foulée. Ce soir-là, plusieurs jeunes filles et jeunes hommes furent enlevés du goulag en toute discrétion pour être ensuite livrés au centre de recherche où se préparait le Projet XX.

    Aergis se réveilla ensuite dans une toute nouvelle cellule, petite comme une cage, son amie à ses côtés. Deux garçons qu’elle avait l’habitude de côtoyer se trouvaient aussi dans la cage voisine. Peu de temps après, deux hommes vêtus de blancs s’approchèrent de leur cage, leur visage était caché par leur masque de protection. Ils l’interpellèrent elle et son amie avec un ton faussement aimable et rassurant, et les invitèrent à se lever et sortir les rejoindre hors de la cage. Aergis aida alors son amie à se relever et s’avança, lançant un dernier regard à ses camarades derrière elle, avant de traverser le « voile».
    Le Passage du Voile. C’est le nom que donnait le Conseil à la première étape du protocole qui visait à détruire les souvenirs chez les patients avant toute intervention. Ils espéraient ainsi minimiser les chances de voir leurs sujets développer de la pitié et de l’empathie envers leurs futures victimes.

    Les années suivantes, Aergis et ses trois camarades de cellules furent aptes à passer les différents tests et opérations orchestrés par leur conseil. Ils étaient des cobayes de choix et les apôtres nourrissaient beaucoup d’espoir envers elle et sa camarade, les sujet XX. 00014 et XX. 00015, c’est ainsi qu’ils les appelaient.

    Même si la parole leur était interdite, Quatorze et Quinze discutaient souvent par des gestes et des signes qui leurs étaient spécifiques. Elles faisaient de même avec Cinquante et Cinquante-et-un leurs deux voisins de cellules. Malgré leur mémoire effacée, une certaine complicité résidait encore dans le cœur de chacun. Ainsi, ils s’aidaient mutuellement à supporter le joug du quotidien.

    Un jour, alors que nos quatre cobayes avaient bien grandit, le projet connu une renaissance nouvelle. Le sujet XX. 00014 survécut au test final de synchronisation. Le Conseil des Blancs commença alors à s’agiter, fou de sa réussite. Une fois ramenée dans sa cellule, Quinze se rendit compte que les yeux de sa camarade avaient changés de couleur. Leur rouge détonait avec le reste de l’environnement. Elle en aurait été apeuré si Quatorze elle-même n’avait pas eu l’air si effrayé en se tournant vivement vers elle, un sentiment nouveau naissant dans son expression. C’est à ce moment qu’Aergis utilisa sa voix pour la première fois depuis longtemps :

    -         Quinze. Survis ! Survis, je t’en supplie ! dit-elle avec empressement, l’air sincèrement suppliante.

    Face au regard effaré et interrogateur de son amie elle rajouta plus posément :

    -        Tu vas bientôt subir le même test que moi. Il faut que tu survives Quinze ! Si tu penses ne pas pouvoir y arriver, trouve un moyen pour déjouer le bon déroulement de l’expérience. Si tu échoues à ce test… Alors comme Treize, tu... Sur ces mots elle se tut, les lèvres crispées par une douleur sans nom.

    Quinze comprit alors le sort qui l’attendait et lui fît savoir par un hochement de tête. Puis comme à son habitude, elle sourit à son amie pour la rassurer. C’était la force de Quinze. Malgré son silence et sa profonde solitude, son sourire éblouissait le cœur de tout être capable de l’observer. Voir les gens éblouie par une once de douceur la faisait elle-même tenir dans ses nombreuses afflictions. Cinquante et Cinquante-et-un qui étaient juste à côté assistèrent à la scène et en furent bouleversés. Quatorze jeta un bref coup d’œil vers eux, puis leur tourna le dos, l’angoisse l’empêchant d’observer d’avantage ses amis.

    Quelques heures plus tard, les apôtres revinrent pour chercher Quinze. Quatorze eut à peine la force de lever le regard vers sa camarade pour voir celle-ci lui sourire tendrement, comme pour la rassurer une nouvelle fois. Puis Quatorze versa ses premières larmes en silence. Quinze ne revint jamais auprès d’elle.

    Peu de temps après, Cinquante et Cinquante-et-un furent également emportés, par des hommes qu’ils n’avaient pas l’habitude de voir. Inquiète, Quatorze leva les yeux en s’accrochant aux barreaux, voyant ses derniers amis emporté vers l’extérieur des bâtiments avec quelques autres. C’est alors qu’elle perçut la discussion de Thomas et Judas à travers le mur, non loin d’elle. Ses sens auditifs avaient été renforcés suites à plusieurs opérations, cet élément déclencheur venait de lui montrer le moyen de s’en servir.

    -         Maintenant que Quatorze a passé le cap, nous n’avons plus besoin de certains éléments. Semblait dire la voix de Judas.

    -          Nous allons nous en débarrasser comme les autres ? Interrogea Thomas.

    -        Non, ils possèdent tout de même des capacités hors normes pour la plupart, nous en débarrasser comme les autres serait du gâchis. Céphas a proposé que nous les mettions à l’épreuve dans une zone spéciale, ainsi nous pourrions voir leur résistance en situation « in vivo ». Ce n’est pas une mauvaise idée, cela n’a jamais été fait auparavant.

    -        En effet, nous pourrions ainsi déceler certains dysfonctionnements quant à la régénération et l’endurance. Mais dans quelle zone ? S’enquit Thomas.

    -       Jean entretient des liens étroits avec un chercheur japonais installé à Tokyo. Ils ont récemment discuté ensemble et il souhaitait se lancer dans un type d’expérience proche du notre. Il serait installé dans un laboratoire délabré en périphérie de la capitale. Il est sous-terrain et suffisamment vaste. Quand il a vu la tête de Jean un peu étonné, il lui a tiré les vers du nez. Finalement Kishimoto, c’est le nom du chercheur, lui a demandé si il pouvait examiner un de nos sujets et lui a proposé de les tester. Expliqua Judas quelque peu gêné.

    -       Il a donc brisé une partie du serment de silence… Enfin, ce n’est pas une mauvaise chose. Inachevés ils nous sont inutiles en ces lieux de toute manière et s’il les teste nous pourrions avoir des retours fructifiant. D’ailleurs notre sujet précédent a-t-elle réussie le test comme notre protégée ?

    -      Tu veux parler de Quinze ? – à ces mots Quatorze tressaillit – Elle ne l’a pas passé, non. Il y a eu des complications dans le test, nous n’avons pas pu atteindre la phase finale. Comme elle était toujours vivante, nous l’avons envoyé avec les autres pour le labo de Kishimoto.

    -          Je vois. Je me demande si sa disparition ne va pas affecter Quatorze…

    Puis les sons devinrent tout à coup moins perceptibles pour Aergis. Elle était bouleversée par ce flot d’informations. Quinze était toujours en vie, avec Cinquante et Cinquante-et-un. Ils ont été transférés dans un nouveau laboratoire au Japon.

          Dans le cœur de Quatorze naquit alors une nouvelle force, celle de l’espoir. De jours en jours, son envie de survivre s’intensifia, jusqu’à se transformer en rage opérations après opérations. Elle voulait désormais s’enfuir, quitter ce laboratoire et cette cage, pour retrouver ses camarades. La motivation qui l’animait semblait positive et concluante aux yeux des scientifiques. Ils s’imaginaient qu’elle était le signe d’une bonne avancée dans le projet. Quatorze apprenait de plus en plus vite et semblait chaque jour plus forte, plus vivace. Mais ce n’était pas pour servir leurs desseins que Quatorze s’attelait si bien à la tâche.


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